Corte Europea
Una sentenza della Corte europea dei diritti dell'uomo condanna l'Italia Massoneria, non merita sanzioni il magistrato iscritto (Corte dei diritti dell'uomo 2.8.2001) Non merita sanzioni disciplinari un magistrato iscritto alla Massoneria. Lo stabilisce la Corte europea dei diritti dell’Uomo di Strasburgo che ha condannato l’Italia al risarcimento di 20 milioni di lire per pregiudizio e 27 milioni per le spese processuali. N.F., magistrato di Monza, era entrato a far parte della loggia massonica Adriano Lemmi di Milano, associata al Grande Oriente di Palazzo Giustiniani, nel 1991. Nell’ottobre ’92, dopo aver letto sui giornali che la Procura di Palmi aveva aperto delle inchieste giudiziarie su alcune logge affiliate al Grande Oriente di Palazzo Giustiniani, chiese di lasciare la massoneria. Due anni dopo, fu sottoposto a sanzioni disciplinari per i suoi legami passati con le logge. Cioè gli fu inviato un monito per aver arrecato danno al prestigio dell’ordinamento giudiziario sulla base di una direttiva del Consiglio superiore della magistratura del 1990 e di un decreto del 1946. Sanzione confermata poi dalla Cassazione alla quale N.F. aveva fatto ricorso. N.F. è stato condannato sulla base di una distinzione tra associazione segreta, vietata ai magistrati, e associazione discreta. Il 22 marzo 1990, il Csm aveva adottato una direttiva che recitava: “la partecipazione dei magistrati ad associazioni con un legame gerarchico e solidale particolarmente forte sancita da voti solenni come quelli richiesti dalle logge massoniche pone problemi delicati di rispetto dei valori della Costituzione italiana”. E ricordava che secondo l’articolo 101 della Costituzione i giudici sono assoggettati solo alla legge. Alla prima direttiva ne era seguita un’altra il 14 luglio 1993, con la quale il Csm afferma l’incompatibilità dell’esercizio delle funzioni di magistrato con l’appartenenza alla massoneria. La Corte di Strasburgo ritiene che la direttiva non fosse sufficientemente chiara, neppure per un uomo di legge come N.F., per poter concludere che l’affiliazione alla massoneria potesse portare a provvedimenti disciplinari nei confronti di un magistrato. La sanzione non è quindi né prevedibile né prevista dalla legge ai sensi dell’art. 11 della Convenzione Europea dei Diritti dell’Uomo. La direttiva del Csm non può essere considerata legge perché il termine “previsto dalla legge” impone che le misure siano fondate sul diritto interno, siano chiare ai cittadini e prevedibili. Un’analoga sentenza stabilisce il significato di “previste per legge” per la Corte di Strasburgo: Rekvenyi c Ungheria [CG] CEDH 1999-III. Per tale motivo, Strasburgo stabilisce che c’è stata violazione dell’art.11 della Convenzione europea dei diritti dell’uomo. La Corte invece è del parere che la divulgazione sulla stampa dell’appartenenza del magistrato alla massoneria non costituisca violazione dell’art. 8 (diritto al rispetto della vita privata). La Corte non ha ritenuto opportuno poi esaminare eventuali violazioni degli articoli 9 (libertà di pensiero, di coscienza, di religione), 10 (libertà di espressione) e 11 (libertà di riunione e di associazione). (5 settembre 2001)
ARRÊT 2 août 2001 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire N.F. c. Italie, La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de : M. C.L. Rozakis, président, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 novembre 1999 et 10 juillet 2001, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 37119/97) dirigée contre l’Italie et dont un ressortissant de cet Etat, M. N.F. (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 31 juillet 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant est représenté par Me Anton Giulio Lana, avocat au barreau de Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza, et par son coagent, M. V. Esposito. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement). 3. Le requérant alléguait en particulier qu’une sanction disciplinaire prise à son encontre méconnaissait les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention, pris isolément ou combinés avec l’article 14. 4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11). 5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 24 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. 6. Par une décision du 25 novembre 1999, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable, après une audience dédiée à la fois aux questions de recevabilité et à celles de fond (article 54 § 4 du règlement). 7. Après l’audience, le requérant a déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire, mais non le Gouvernement (article 59 § 1 du règlement).
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 8. Le requérant, né en 1942, est un magistrat qui demanda, après l’été 1990, son affiliation à la maçonnerie du Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani. Le 5 mars 1991, il devint membre de la loge « Adriano Lemmi » de Milan. Durant l’été 1992, le requérant lut dans la presse nationale que certains parquets – notamment celui de Palmi (Reggio de Calabre) – avaient ouvert des enquêtes qui, selon certains bruits, auraient aussi concerné des loges associées au Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani. En octobre 1992, le requérant demanda à s’éloigner de la maçonnerie et, le 5 novembre 1992, il fut mis « en sommeil ». 9. Le parquet de Palmi ayant transmis la liste des magistrats inscrits à la maçonnerie au Conseil Supérieur de la Magistrature, celui-ci la communiqua aux personnes chargées de l’ouverture des procédures disciplinaires contre les magistrats, à savoir le ministre de la Justice et le procureur général près la Cour de cassation. En cette circonstance, la liste fut rendue publique - au moins en partie - par la presse. 10. A la suite de l’ouverture d’une enquête, en juillet 1993, le requérant fut entendu par un enquêteur de l’Inspection générale du ministère de la Justice. Par la suite, en février 1994, il fut entendu par le procureur général près la Cour de cassation. 11. En juin 1994, le requérant fut cité à comparaître devant la Section disciplinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il était accusé d’avoir porté préjudice au prestige de l’ordre judiciaire, car il avait gravement manqué à ses devoirs. Il ne se serait donc pas rendu digne de la confiance qu’il faut avoir en un magistrat. Dans sa plaidoirie, le conseil du requérant rappela une décision de la même Section, prise une dizaine d’années plus tôt, qui marquait la différence entre une association secrète – à laquelle il était interdit aux magistrats de s’affilier – et une association à caractère discret. Le conseil du requérant nota également que la directive du Conseil Supérieur de la Magistrature, établissant l’incompatibilité entre la fonction de magistrat et l’inscription à la maçonnerie, avait été adoptée durant l’été 1993, c’est-à-dire un an après que le requérant eût quitté la maçonnerie de son plein gré. A l’issue de la procédure, la Section disciplinaire estima que le requérant avait violé l’article 18 du décret législatif royal du 31 mai 1946 n° 511 et prononça la sanction de l’avertissement. 12. Le requérant s’étant pourvu devant la Cour de cassation, celle-ci examina l’affaire en chambres réunies le 13 juin 1996 et, par un arrêt du 10 décembre 1996, rejeta le pourvoi. 13. Le 17 mai 2000, la IVème commission du Conseil Supérieur de la Magistrature exprima à nouveau un avis négatif quant à l’avancement - pour lequel les conditions requises étaient réunies depuis le 17 octobre 1997 - du requérant et cela en raison de la sanction disciplinaire qu’il avait subie. En effet, une décision semblable avait déjà été prise par le Conseil Supérieur de la Magistrature à une date non précisée.
14. Les dispositions particulières de la Constitution citées par le Gouvernement sont les suivantes : « Article 54 Tous les citoyens ont le devoir d’être fidèles à la République et de respecter la Constitution et les lois. Les citoyens titulaires de charges publiques ont le devoir de s’en acquitter avec discipline et honneur, en prêtant serment dans les cas établis par la loi. Article 98 Les fonctionnaires sont au service exclusif de la nation. S’ils sont membres du Parlement, ils ne peuvent obtenir de promotions que par ancienneté. Des limitations au droit de s’inscrire aux partis politiques peuvent être établies par la loi pour les magistrats, les militaires de carrière en service actif, les fonctionnaires et agents de police, les représentants diplomatiques et consulaires à l’étranger. Article 111 Toutes les décisions juridictionnelles doivent être motivées. Le recours en cassation pour violation de la loi est toujours admis contre les jugements et les décisions sur la liberté personnelle, prononcés par les organes juridictionnels ordinaires ou spéciaux. On ne peut déroger à cette norme que pour les jugements des tribunaux militaires en temps de guerre. Contre les décisions du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes, le recours en cassation n’est admis que pour les seuls motifs inhérents à la compétence juridictionnelle. » 15. Aux termes de l’article 18 du décret législatif royal n° 511 du 31 mai 1946 (« le décret de 1946 »), le magistrat qui « manque à ses devoirs ou a, au bureau ou en dehors, un comportement qui ne mérite pas la confiance et la considération dont il doit jouir » est soumis à une sanction disciplinaire. 16. Appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 18 du décret de 1946 par rapport à l’article 25 § 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a statué qu’en matière de procédure disciplinaire contre les magistrats, le principe de légalité trouve application comme exigence fondamentale de l’état de droit et constitue une conséquence nécessaire du rôle attribué à la magistrature par la Constitution (arrêt n° 100 du 8 juin 1981, § 4). Toutefois, en ce qui concerne le fait que l’article 18 n’énumère pas les comportements qui peuvent être considérés comme illicites, la Cour constitutionnelle a remarqué qu’il n’est pas possible d’indiquer tous les comportements qui peuvent porter préjudice aux valeurs - la confiance et la considération dont un magistrat doit jouir ainsi que le prestige de l’ordre judiciaire - garanties par ladite disposition. En effet, selon elle, ces valeurs constituent des principes déontologiques qui ne peuvent pas être inclus dans des « schémas préparés à l’avance, car il n’est pas possible d’identifier et classer tous les comportements contraires qui pourraient causer une réaction négative de la société » (ibidem, § 5). La Cour a par la suite rappelé que, dans les lois antérieures régissant la même matière, il y avait une disposition ayant un contenu général à côté des dispositions sanctionnant des comportements spécifiques, que les projets de réforme dans ce domaine maintenaient toujours des formules ayant un contenu général et, enfin, qu’il en allait de même pour d’autres catégories professionnelles. La Cour constitutionnelle a conclu que « les dispositions en la matière ne peuvent pas ne pas avoir un contenu général parce qu’une indication ponctuelle aurait pour conséquence de donner de la légitimité à des comportements non prévus qui étaient cependant critiqués par la conscience sociale. Elle a ajouté que ces considérations justifiaient la latitude de la norme et la large marge d’appréciation accordée à un organe qui, agissant avec les garanties propres d’une procédure judiciaire, était en raison de sa structuration particulièrement qualifié pour apprécier si le comportement considéré dans chaque cas portait ou non préjudice aux valeurs protégées (ibidem, § 5). La Cour constitutionnelle a enfin indiqué que pareille interprétation était conforme à sa jurisprudence en matière de légalité (ibidem, § 6). 17. La loi n° 17 du 25 janvier 1982 portant sur des dispositions d’application de l’article 18 (droit d’association) de la Constitution en matière d’associations secrètes et de dissolution de l’association nommée P2, a prévu que la participation à une association secrète constitue une infraction pénale (article 2). En ce qui concerne les fonctionnaires, l’article 4 prévoit qu’une procédure disciplinaire doit être également ouverte à leur encontre devant une commission spéciale composée selon des règles bien précises. Toutefois, au sujet des magistrats des juridictions judiciaire, administrative et militaire, la compétence reste aux organes disciplinaires respectifs. 18. Le 22 mars 1990, lors d’une discussion concernant l’incompatibilité entre l’exercice de fonctions judiciaires et l’inscription de magistrats à la franc-maçonnerie à la suite d’un message du chef de l’Etat - qui le préside - au Conseil Supérieur de la Magistrature, celui-ci a adopté une directive. Le procès-verbal (discussion et texte de la directive) de la réunion y relative a été publié dans « Verbali consiliari » (pp. 89-129) et communiqué aux présidents de la République, du Sénat et de la chambre des députés. Selon cette directive, « la participation de magistrats à des associations ayant un lien hiérarchique et solidaire particulièrement fort par le biais de l’établissement, par des voies solennelles, des liens comme ceux qui sont demandés par les loges maçonniques, pose des problèmes délicats de respect des valeurs de la Constitution italienne ». Le Conseil Supérieur de la Magistrature a ajouté qu’il rentrait « sûrement [dans ses] compétences de contrôler le respect du principe basilaire de l’article 101 de la Constitution selon lequel ‘les juges sont assujettis seulement à la loi’ ». Selon lui, « cette tutelle comporte (...) la surveillance attentive de ce que chaque magistrat respecte - et apparaît comme le respectant - dans l’exercice de ses fonctions le principe d’assujettissement à la loi seule ». Le Conseil Supérieur de la Magistrature a par la suite rappelé un arrêt du 7 mai 1981 de la Cour constitutionnelle dans lequel celle-ci fait une pondération entre la liberté de pensée des magistrats et leur obligation d’être impartiaux et indépendants. Il a ajouté qu’« il faut souligner que parmi les comportements du magistrat à prendre en considération, avec d’autres, pour les besoins de l’exercice de l’activité administrative propre au Conseil, il y a aussi, au-delà de la limite fixée par la loi n° 17 de 1982, l’acceptation de liens qui A) se superposent à l’obligation de fidélité à la Constitution, d’exercice impartial et indépendant de l’activité juridictionnelle, B) portent préjudice à la confiance des citoyens envers la fonction judiciaire en lui faisant perdre sa crédibilité ». Enfin, le Conseil Supérieur de la Magistrature a estimé « devoir signaler au ministre de Grâce et Justice de considérer l’opportunité de proposer que des limitations éventuelles au droit d’association des magistrats fassent référence à toutes les associations qui - pour leurs organisation et fins - comportent pour les membres des liens de hiérarchie et de solidarité particulièrement contraignants ». 19. Le 14 juillet 1993, le Conseil Supérieur de la Magistrature a adopté une autre directive par laquelle il a affirmé l’incompatibilité de l’exercice des fonctions de magistrat avec l’appartenance à la maçonnerie. EN DROIT 20. Le requérant allègue la violation des articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention ainsi que de l’article 14 combiné avec toutes ces dispositions. La Cour en examinera le bien-fondé en commençant par l’article 11 qui, selon elle, constitue le grief le plus pertinent en l’espèce.
21. Le requérant estime que la sanction disciplinaire litigieuse constitue une ingérence dans son droit à la liberté d’association. Il y voit une violation de l’article 11 de la Convention, ainsi libellé : « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. » 1. Sur l’existence d’une ingérence 22. La Cour considère, et le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas, qu’il y a eu ingérence dans le droit du requérant au respect de sa liberté d’association. 23. Pour être compatible avec l’article 11, une telle ingérence doit satisfaire à trois conditions : être « prévue par la loi », viser un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 précité et être « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre. 2. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ? 24. Le requérant fait remarquer que la sanction disciplinaire a été prononcée sur la base de l’article 18 du décret de 1946. Or cette disposition a été critiquée pour son caractère générique et sa constitutionnalité a même été contestée devant la Cour constitutionnelle. De ce fait, selon le requérant, l’on ne pourrait pas parler de loi au sens du paragraphe 2 de l’article 11, et donc l’ingérence n’était pas « prévue par la loi ». De plus, sur la base de la législation en vigueur et de la jurisprudence de l’époque quant au dit article 18, le requérant était en droit de croire que son adhésion à la franc-maçonnerie n’était pas incompatible avec la loi. 25. De son côté, le Gouvernement considère que l’ingérence litigieuse trouve son fondement dans l’article 18 du décret de 1946. Il note toutefois que cette disposition met en oeuvre les articles 54 § 2, 98 § 1 et 111 de la Constitution italienne qui établissent l’obligation de fidélité des magistrats à la République. 26. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots « prévue par la loi » imposent non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible au justiciable et prévisible (voir Rekvényi c. Hongrie [GC], CEDH 1999-III). 27. En l’espèce, la Cour constate que l’article 18 du décret de 1946 prévoit la possibilité de sanctionner le magistrat qui « manque à ses devoirs ». Dès lors, la Cour peut conclure que la sanction disciplinaire avait une base en droit italien 28. Quant à l’accessibilité de la loi, la Cour estime que cette exigence se trouve remplie dès lors que la loi était publique et accessible au requérant. 29. Concernant l’exigence de prévisibilité, la Cour rappelle qu’une norme est « prévisible » lorsqu’elle est rédigée avec assez de précision pour permettre à toute personne, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, de régler sa conduite (arrêt Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n° 30985/96, § 84, CEDH 2000-XI). 30. Il convient donc de rechercher en particulier si le droit interne fixait avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles un magistrat devait s’abstenir de s’associer à la franc-maçonnerie. 31. La Cour relève d’abord que l’article 18 du décret de 1946 ne définit pas si et de quelle manière un magistrat peut exercer son droit d’association. En outre, la cour constitutionnelle a constaté que cette disposition a un caractère général. Cependant, la directive de 1990 du Conseil Supérieur de la Magistrature avait fait apparaître que l’inscription des magistrats à des associations légales qui, comme la franc-maçonnerie, étaient régies par certaines règles de conduite, pouvait poser des problèmes pour un magistrat (voir paragraphe 18 ci-dessus). La Cour doit donc rechercher si l’article 18, combiné avec la directive du 22 mars 1990 du Conseil Supérieur de la Magistrature (voir paragraphe 15 ci-dessus), peut permettre de considérer la sanction litigieuse comme étant prévisible. A cet égard, la Cour note que cette directive avait été prise dans le cadre de l’examen de la question spécifique de la participation de magistrats à la maçonnerie et qui plus est, le Conseil Supérieur de la Magistrature, organe de gestion des magistrats, avait le pouvoir d’édicter de telles dispositions. Toutefois, même si l’objet principal de la directive était l’appartenance à la franc-maçonnerie, les termes employés à propos de celle-ci (« la participation... pose des problèmes délicats ») étaient ambigus et pouvaient donner l’impression que pas toutes les loges maçonniques n’étaient prises en considération. Cela d’autant plus si l’on considère que cette directive intervenait après le grand débat qui s’était déroulé en Italie sur l’illégalité de la loge secrète P2. En effet, la directive indiquait clairement seulement que « la loi interdit naturellement aux magistrats de participer aux associations interdites par la loi n° 17 de 1982 ». Quant aux autres associations, il était dit que « le Conseil [Supérieur de la Magistrature] estime devoir signaler au ministre de Grâce et Justice de considérer l’opportunité de proposer que des limitations éventuelles au droit d’association pour les magistrats fassent référence à toutes les associations qui - pour leurs organisation et fins - comportent pour les membres des liens de hiérarchie et solidarité particulièrement contraignants ». Par conséquent, les termes de la directive du 22 mars 1990 n’étaient pas suffisamment clairs pour permettre même à une personne avisée et à l’aise avec le droit telle que le requérant, de se rendre compte - même à la lumière du débat qui l’avait précédée - que l’adhésion à une loge maçonnique officielle pouvait conduire à sanctionner un magistrat. La Cour trouve confirmation de son évaluation dans le fait que le Conseil Supérieur de la Magistrature ressentit lui-même le besoin de revenir sur la question le 14 juillet 1993 (voir paragraphe 19 ci-dessus) pour affirmer en termes clairs l’incompatibilité de l’exercice des fonctions de magistrat avec l’appartenance à la franc-maçonnerie. 32. La Cour en conclut donc que la condition de prévisibilité n’était pas respectée et que par conséquent, l’ingérence n’était pas prévue par la loi. 33. Etant arrivée à ce constat, la Cour n’a pas besoin de contrôler si les autres exigences (but légitime, nécessité de l’ingérence et limitations spéciales pour certaines catégories) voulues par les première et seconde phrases du paragraphe 2 de l’article 11 ont été respectées. 34. Partant, il y a eu violation de l’article 11.
35. Le requérant allègue également une violation des articles 8, 9 et 10 pris isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention ainsi que la méconnaissance de l’article 11 combiné avec l’article 14. Ses griefs portent sur le même fait (sanction disciplinaire) que celui examiné sur le terrain de l’article 11. 36. En ce qui concerne l’article 8, le requérant en invoque en plus la violation à cause de la diffusion dans la presse - après la communication de la liste des adhérents par le parquet de Palmi au conseil Supérieur de la Magistrature - de son appartenance à la franc-maçonnerie. 37. Le requérant allègue que la publication de son appartenance à la franc-maçonnerie par la presse constitue une violation de son droit à la vie privée. Selon lui, cette méconnaissance est indépendante de la question de savoir si la participation à la franc-maçonnerie était, comme il l’estime, licite ou non : en effet, toute « condition concernant la sphère de la personnalité d’un individu a tendance à être réservée au domaine de l’individu ». 38. De son côté, le Gouvernement indique que cette doléance concernerait plutôt les limites à la liberté de communiquer des informations garantie par l’article 10 de la Convention. 39. La Cour note que, selon sa jurisprudence, « la sphère de la vie privée, telle que la Cour la conçoit, couvre l’intégrité physique et morale d’une personne ; la garantie offerte par l’article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables (voir l’arrêt Botta c. Italie du 24 février 1998, Recueil 1998-I, p. 422, § 32). En l’espèce, le requérant n’a pas prouvé que la divulgation par la presse de son adhésion à la franc-maçonnerie lui ait causé pareil préjudice. En revanche, il a reconnu que pareille « adhésion peut être connue par quiconque par le biais de la consultation du tableau des membres ». Partant, il n’y a pas eu ingérence. 40. Au sujet du premier grief visant l’article 8 et des griefs visant les autres articles, au vu de la conclusion à laquelle elle est parvenue quant à la méconnaissance de l’article 11, la Cour n’estime pas nécessaire de les examiner séparément.
41. Aux termes de l’article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
42. Le requérant demande en premier lieu à la Cour de condamner le gouvernement défendeur à mettre fin aux violations constatées par l’adoption de toute mesure prévue au niveau national. Il demande cette restitutio in integrum en se fondant sur la Recommandation n° R (2000) 2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme (adoptée par le Comité des Ministres le 19 janvier 2000, lors de la 694e réunion des Délégués des Ministres), il demande la révision de la procédure disciplinaire. Il rappelle que l’arrêt de la Cour européenne serait à considérer comme un « fait nouveau » qui, aux termes de l’article 37 paragraphe 6 du décret de 1946, permet de demander la révision de la procédure disciplinaire. Le requérant demande ensuite 57 000 000 lires italiennes pour préjudice matériel (frais médicaux et perte de salaire) en raison de la diffusion dans la presse de son appartenance à la franc-maçonnerie, 472 336 500 lires italiennes pour préjudice moral ainsi justifié : 300 000 000 lires italiennes pour le tort moral dû au préjudice à la réputation, 114 891 000 lires italiennes pour dommage corporel (danno biologico) et 57 445 500 lires italiennes pour tout autre tort moral. 43. De son coté, le Gouvernement estime que le requérant n’a fourni aucune preuve quant à l’existence du dommage. 44. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour rappelle d’abord les considérations qu’elle a faites au paragraphe 39 ci-dessus. Elle note que le requérant n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre les frais médicaux et la violation constatée ni la réalité de la somme indiquée au titre de la perte de salaire. Quant au préjudice moral, la Cour remarque que la sanction octroyée était la moins grave de celles prévues. Il n’en demeure pas moins que le requérant a pu subir un certain dommage moral, qui ne se trouve pas suffisamment réparé par le constat d’infraction à la Convention. Statuant en équité comme le veut l’article 41, la Cour alloue au requérant 20 000 000 lires italiennes pour l’ensemble du préjudice subi.
45. Le requérant réclame 60 883 648 lires italiennes à titre de remboursement pour les frais de la procédure devant la Commission et la Cour. Il demande également 7 372 012 lires italiennes à titre de remboursement des frais de la procédure disciplinaire. 46. Le gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour. 47. La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir, entre autres, T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], n° 28945/95, 10.5.2001, § 120). Elle observe qu’en la présente affaire, il y a eu une audience et que plusieurs mémoires ont été déposés. Cependant, la Cour juge que les sommes réclamées sont exagérées. A la lumière de ces éléments, la Cour accorde la somme de 20 000 000 lires italiennes pour les frais et dépens devant la Commission et la Cour. A cette somme il y a lieu d’ajouter le remboursement des frais encourus lors de la procédure disciplinaire, à savoir 7 312 012 lires italiennes.
48. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable à l’Italie à la date d’adoption du présent arrêt est de 3,5 % l’an.
1. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ; 2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en ce qui concerne le grief tiré de la divulgation de l’appartenance du requérant à la franc-maçonnerie ; 3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation des articles 8 (en raison de l’octroi de la sanction disciplinaire), 9 et 10 de la Convention pris isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention, ou de l’article 11 combiné avec l’article 14 ; 4. Dit, par quatre voix contre trois, a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes : i. 20 000 000 (vingt millions) lires italiennes, pour dommage ; ii. 27 312 012 (vingt-sept millions trois cent douze mille douze) lires italiennes, pour frais et dépens ; b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 3,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ; 5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 août 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
– opinion en partie dissidente de M. Baka ; – opinion en partie dissidente de M. Bonello ; – opinion en partie dissidente de M. Tsatsa-Nikolovska.
(Traduction provisoire) En l’espèce, je ne puis partager l’avis de la majorité de la Cour selon lequel la loi nationale n’était pas assez prévisible pour permettre au requérant de régler sa conduite. La Cour a estimé en conséquence que la restriction n’était pas prévue par la loi italienne et qu’il y avait donc eu violation de l’article 11 de la Convention. Certes, on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite. Par ailleurs, la Cour a souligné que « le niveau de précision requis de la législation interne – laquelle ne saurait parer à toute éventualité – dépend[ait] dans une large mesure du texte considéré, du domaine qu’il couvr[ait] et de la qualité de ses destinataires » (arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A n° 323, p. 24, § 48). A mon sens – bien que la certitude soit non seulement hautement souhaitable, mais essentielle –, il est pratiquement impossible de définir avec une précision absolue les comportements et les activités qui sont incompatibles avec la fonction de magistrat. A cet égard, je tiens également compte du fait que « de nombreuses lois se servent, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique » et qu’« il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne » (arrêts Sunday Times (n° 1) du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31, § 49, et Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, série A n° 266-B, pp. 35-36, § 25). En appliquant les principes susmentionnés à la présente affaire, je suis parvenu à la conclusion que les différentes dispositions en vigueur en Italie, en particulier l’article 18 du décret royal n° 511 du 31 mai 1946, son interprétation par la Cour constitutionnelle et la directive du 22 mars 1990 du Conseil supérieur de la magistrature, fournissaient des normes juridiques et des informations assez claires pour permettre à un magistrat hautement qualifié de régler sa conduite. Le requérant aurait dû savoir qu’en s’affiliant à une loge maçonnique, il encourait une sanction disciplinaire. Le libellé de la directive de 1990 du Conseil supérieur de la magistrature et, en particulier, la dissolution de l’association P2 en 1982, auraient dû lui faire prendre conscience, en tant que magistrat, que l’appartenance à la franc-maçonnerie risquait de porter préjudice au prestige et à la confiance dont les autorités judiciaires jouissent auprès du public. Eu égard à ces considérations, j’estime que l’ingérence était « prévue par la loi » aux fins du paragraphe 2 de l’article 11. Partant, je ne constate aucune violation de la disposition.
(Traduction provisoire) 1. Je ne souscris pas à la conclusion de la majorité selon laquelle l’ingérence de l’Etat dans l’exercice par le requérant de ses droits protégés par l’article 11 n’était « pas prévue par la loi » dans la mesure où la condition de prévisibilité n’était pas respectée. 2. Le requérant, un magistrat censé être versé dans le droit, savait, ou aurait raisonnablement dû savoir, qu’il encourait des sanctions disciplinaires en s’affiliant à une loge maçonnique italienne. L’ordre juridique italien renferme des indications claires et incontournables qui n’auraient pas dû laisser subsister le moindre doute dans l’esprit de l’intéressé sur l’incompatibilité de l’appartenance à la franc-maçonnerie italienne avec l’exercice de fonctions judiciaires. 3. La majorité conclut que les termes de la directive adoptée par le Conseil supérieur de la magistrature le 22 mars 1990 n’étaient pas suffisamment clairs pour que le requérant puisse prévoir qu’il encourait une sanction disciplinaire s’il s’affiliait à une loge maçonnique. Pour parvenir à cette conclusion, la majorité a dû faire abstraction de la jurisprudence constante de la Cour et de la profusion de constatations de fait dans le dossier. 4. La présente opinion vise uniquement à établir si l’ordre juridique italien offrait « une base légale suffisante » pour prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre du requérant qui avait demandé à s’affilier à une loge maçonnique. Elle n’exprime en aucune manière un jugement de valeur sur la franc-maçonnerie en général, ni sur l’opportunité pour un magistrat de s’identifier aux idées et aux idéaux de la franc-maçonnerie, ni sur le phénomène spécifiquement italien d’une franc-maçonnerie dévoyée à l’époque des faits. La jurisprudence de la Cour 5. La Cour a affirmé à maintes reprises que toute ingérence dans la jouissance de certains droits fondamentaux doit être « prévue par la loi » et que la loi en question doit être accessible et prévisible. Je souscris sans réserve à ces principes. Néanmoins, dans sa jurisprudence, la Cour a veillé à la nécessité de tempérer cette déclaration générale, eu égard aux impératifs d’ordre pratique. Elle a reconnu « qu’il [pouvait] être difficile (...) de rédiger des lois d’une totale précision et qu’une certaine souplesse [pouvait] même se révéler souhaitable pour permettre aux juridictions internes de faire évoluer le droit en fonction de ce qu’elles jug[eaient] être des mesures nécessaires dans l’intérêt de la justice » 6. La Cour a estimé que le niveau de précision requis de la législation interne « dépend[ait] dans une large mesure du texte considéré, du domaine qu’il couvr[ait] ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires ». En d’autres termes, une loi destinée à des spécialistes n’a pas besoin d’être aussi explicite qu’une loi rédigée à l’intention de profanes. En matière de discipline (militaire), la Cour a fait observer que « la rédaction de dispositions décrivant le détail des comportements ne se [concevait] guère ». 7. S’agissant des exigences de clarté et de prévisibilité de la loi, la Cour a en outre considéré qu’« une disposition légale ne se heurt[ait] pas à l’exigence qu’impliqu[ait] la notion « prévue par la loi » du simple fait qu’elle se prêt[ait] à plus d’une interprétation ». 8. La Cour a déjà constaté qu’une ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental reposait sur une « base légale suffisante » s’agissant de lois dont le libellé « ne présent[ait] pas une précision absolue. Beaucoup d’entre elles, en raison de la nécessité d’éviter une rigidité excessive et de s’adapter aux changements de situation, se serv[aient] par la force des choses de formules plus ou moins floues ». 9. Dans un autre arrêt de principe, la Cour a analysé l’élément de prévisibilité essentiel à toute loi invoquée comme base légale à l’appui de la restriction d’un droit fondamental. Elle a constaté que « la législation suédoise appliquée en l’espèce s’exprim[ait] certes en termes assez généraux et confér[ait] un large pouvoir d’appréciation (...) Toutefois, les circonstances pouvant commander la prise en charge d’un enfant, ou présider à l’exécution de pareille décision, [étaient] si diverses qu’on ne [pouvait] guère libeller une loi capable de parer à toute éventualité (...) Les travaux préparatoires de la législation (...) donn[aient] d’ailleurs, quand il s’agi[ssait] de l’interpréter et de l’appliquer, des indications sur l’exercice de la faculté d’appréciation qu’elle accorde[ait] (...) En conclusion, les ingérences litigieuses étaient « prévues par la loi. »». 10. Dans sa lecture de la directive de 1990 sur le pouvoir judiciaire italien et la franc-maçonnerie, la majorité n’a pris en compte aucun des nombreux critères requis par la jurisprudence de la Cour pour déterminer si l’ingérence dans les droits du requérant avait une base légale suffisante. Aucune attention n’a été accordée « à la qualité des destinataires de la norme » (en l’espèce, une personne censée avoir une expertise juridique). Il est de plus regrettable que les « travaux préparatoires » pertinents qui ont accompagné l’adoption de cette norme n’aient pas été pris en considération. Ils ont, en l’occurrence, été publiés officiellement et ne laissent planer aucun doute sur le fait que les normes en question interdisaient, dans des termes dénués de toute équivoque, l’affiliation des magistrats italiens à des loges maçonniques italiennes. Base légale de l’ingérence 11. Le 22 mars 1990, le Conseil supérieur de la magistrature a adopté une directive selon laquelle « la participation de magistrats à des associations ayant un lien hiérarchique et solidaire particulièrement fort par le biais de l’établissement, par des voies solennelles, des liens comme ceux qui sont demandés par les loges maçonniques, pose des problèmes délicats de respect des valeurs de la Constitution italienne ». 12. Cette directive a été adoptée à l’initiative du Président de la République italienne, qui préside le Conseil supérieur de la magistrature. Elle a été publiée dans le bulletin officiel (Verbali Consiliari) sous l’intitulé : « Extrait du procès-verbal de la séance tenue le 22 mars 1990 au matin sur l’incompatibilité entre l’exercice de fonctions judiciaires et l’appartenance à la franc-maçonnerie ». 13. En ouvrant la séance, le président du Conseil supérieur de la magistrature a rappelé aux magistrats le message du Président de la République « concernant l’incompatibilité entre l’exercice de fonctions judiciaires et l’appartenance à la franc-maçonnerie ». 14. En déposant la motion, M. Racheli, rapporteur pour la directive, s’est exprimé en termes qui auraient difficilement pu être plus explicites et percutants. Il a mentionné à plusieurs reprises – et a reçu un écho favorable – les conclusions affligeantes du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les scandales passés et présents qui ébranlaient l’Italie en raison de l’infiltration d’une franc-maçonnerie dévoyée dans toutes les sphères du pouvoir, infiltration qui a abouti à la mainmise sur toutes les institutions démocratiques, notamment sur le pouvoir judiciaire, et mis en péril tous les secteurs de la vie publique italienne et l’ensemble de la franc-maçonnerie italienne. Le rapporteur a indiqué sans ambages que la directive avait pour seul but d’affirmer l’incompatibilité de l’exercice des fonctions de magistrat avec l’appartenance à la franc-maçonnerie italienne. « L’application dudit avis de la Cour constitutionnelle exclut la possibilité pour les magistrats d’être membres d’associations qui, par les liens de la hiérarchie, et par les idéologies qu’ils professent et appliquent, peuvent amener les citoyens à croire que l’exercice du pouvoir judiciaire peut être perverti à l’avantage de l’association ou de ses membres. En ce qui concerne la franc-maçonnerie, il est largement admis que l’image du pouvoir judiciaire a été considérablement ternie ». 15. Le rapporteur et les divers membres du Conseil supérieur de la magistrature qui sont intervenus dans le débat ont expliqué en détail le fondement de la directive en droit italien. En quelques mots, l’incompatibilité entre l’exercice du pouvoir judiciaire et la franc-maçonnerie italienne découle de la violation du principe constitutionnel selon lequel les juges ne doivent obéir qu’à la loi, tandis qu’un franc-maçon est solennellement tenu « de jurer, sans hésitation ou désaccord, obéissance aux ordres qui [lui] sont donnés par le Souverain Tribunal des 31 et par le Conseil des 33 du Rite écossais ancien et accepté ». De plus, le lien de solidarité – confirmé par serment – qui unit les maçons italiens est incompatible avec l’indépendance et l’impartialité indispensables au pouvoir judiciaire. Le règlement intérieur de la loge Montecarlo imposait à ses membres le devoir « d’étudier et d’analyser le pouvoir dans le but de le conquérir, de l’exercer, de le conserver et de le consolider ». 16. Le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas mené le débat et adopté la directive ex nihilo. Le requérant savait et était manifestement censé savoir que le rapport officiel de la commission d’enquête parlementaire sur la franc-maçonnerie en Italie avait révélé le préjudice colossal que l’image, la crédibilité et l’autorité des institutions officielles, notamment du judiciaire, avaient subi du fait de leur infiltration par une franc-maçonnerie italienne dévoyée. Ce rapport n’aurait dû laisser aucun doute à un magistrat italien de bonne foi quant au conflit insoluble existant entre l’exercice du pouvoir judiciaire et l’appartenance à des loges maçonniques. Ce rapport, qui a été largement diffusé comme l’a indiqué le rapporteur, ne faisait pas état de sentiments individuels mais « prenait acte des opinions du peuple italien » au sujet de la contamination pernicieuse des organes vitaux de l’Etat par une franc-maçonnerie dévoyée. Le requérant a fait peu de cas des « opinions du peuple italien », exprimées de manière si ouverte et avec tant de préoccupation par le pouvoir législatif de la République qu’il s’était engagé à servir. 17. Le requérant est pour le moins de mauvaise foi lorsqu’il prétend qu’il ne savait pas et ne pouvait pas prévoir que l’appartenance à la franc-maçonnerie était inconciliable, selon les normes italiennes, avec l’exercice de ses fonctions judiciaires. 18. L’analyse du rapporteur, publiée officiellement avec la directive, met en évidence que « l’appartenance à la franc-maçonnerie – ainsi qu’à toute association ayant une structure hiérarchique très forte et des liens de solidarité indestructibles – est en soi source d’affaiblissement, non seulement en apparence mais aussi et surtout dans la « réalité concrète » (...) L’appartenance à la franc-maçonnerie apparaît alors comme une obligation qui vient objectivement se superposer au serment de loyauté prescrit par l’article 54 de la Constitution et à l’obligation première du juge qui ne doit obéir qu’à la loi ». 19. La directive, votée dans le contexte des travaux préparatoires susmentionnés, a été adoptée par le Conseil supérieur de la magistrature par 24 voix et cinq abstentions. 20. Ces avertissements publics, précis et sans équivoque, qui ont été diffusés officiellement avec la directive, auraient pu ôter au requérant tout doute qu’il avait encore sur le fait que l’appartenance à une loge maçonnique constituait une infraction disciplinaire passible de poursuites. Il n’est à mon sens pas sérieux d’affirmer que l’intéressé pouvait croire, de bonne foi, qu’un juge italien pouvait entrer en franc-maçonnerie avec la bénédiction de la loi. 21. En fait, les diverses instances nationales qui ont été appelées à juger le requérant n’ont eu absolument aucune réticence à trouver dans la directive et les normes qui l’ont précédée une base légale suffisamment claire et prévisible pour établir si l’intéressé avait ou non manqué aux devoirs de sa fonction judiciaire. Selon la jurisprudence de la Cour, les instances nationales de jugement sont les interprètes naturels du droit interne. Appliquant le principe de subsidiarité et sa marge d’appréciation, la Cour a toujours estimé qu’elle ne devait revoir l’interprétation du droit interne par les juridictions nationales que dans les cas exceptionnels d’erreur judiciaire flagrante. Il est fort préoccupant que la majorité ait choisi de faire abstraction de l’interprétation unanime du droit italien par les plus hautes autorités italiennes compétentes dans une affaire où les faits et le droit se conjuguent pour démontrer la naïveté de l’argument du requérant selon lequel il ne connaissait ni ne pouvait prévoir les conséquences de ses actes. 22. Une dernière observation. La Convention souligne l’exigence de clarté de la loi dans deux circonstances: premièrement, dans la définition des agissements prohibés par les lois pénales (doctrine de la « nullité pour manque de précision » consacrée par l’article 7)2 ; deuxièmement, dans les cas où l’ingérence dans l’exercice de certains droits fondamentaux est autorisée (articles 8 à 11 par exemple). L’exigence de clarté semble de toute évidence s’imposer davantage dans le contexte de l’article 7. Et pourtant, la Cour a jugé suffisamment précise, dans une affaire relevant de l’article 7, une loi pénale aux termes de laquelle « tout agent de l’Etat qui abuse de ses fonctions dans des circonstances autres que celles prévues par le présent code (...) » (les sanctions pénales sont ensuite énumérées). Il est étonnant que cette « non-loi » équivoque ait satisfait au critère draconien de clarté requis au titre de l’article 7, alors que l’interdiction formelle pour les magistrats italiens d’appartenir à la franc-maçonnerie ne remplit pas la condition moins stricte de clarté requise par l’article 8.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE (Traduction provisoire) A mon regret, je ne puis souscrire à la conclusion de la majorité de la Cour selon laquelle l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’association, garanti par l’article 11 de la Convention, n’était pas prévue par la loi faute de prévisibilité. Au contraire, j’estime que l’article 18 du décret royal n° 511 du 31 mai 1946, son interprétation par la Cour constitutionnelle et la directive du Conseil supérieur de la magistrature constituent une base légale suffisamment claire à l’ingérence susmentionnée. Ces dispositions juridiques répondent aux exigences de clarté et de prévisibilité de la loi, étant donné en particulier que le requérant est un magistrat expérimenté. A mon sens, ces dispositions atteignent également le niveau de précision requis de la législation interne. Le requérant aurait dû savoir que l’affiliation à une loge maçonnique enfreindrait le principe selon lequel les juges ne doivent obéir qu’à la loi. Toute forme de hiérarchie et de solidarité, telles qu’imposées par la franc-maçonnerie dont l’intéressé était membre, est incompatible avec l’exercice d’une fonction judiciaire. Eu égard à mes considérations sur la prévisibilité et la précision, qui se fondent sur les principes établis par la jurisprudence de la Cour (arrêts Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A n° 323, p. 24, § 48, et Chorherr c. Autriche du 25 août 1993, série A n° 266-B, pp. 35-36, § 25), et compte tenu de l’incompatibilité entre l’exercice d’une fonction judiciaire et l’appartenance à la franc-maçonnerie, j’estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention en l’espèce. Enfin, je ne partage pas la décision de la majorité de la Cour relative à la satisfaction équitable, puisque je ne constate aucune violation en l’espèce. |